West Side Story

Le gang des rêves

Kezako ?

Dans les années 1950, deux bandes de jeunes s’affrontent pour le contrôle d’un quartier défavorisé de l’Upper West Side en pleine gentrification. D’un côté les immigrés portoricains des Sharks et de l’autre les Américains des Jets. Récemment sorti de prison, Tony, lié aux Jets, en a marre de cette violence quotidienne. Un jour, lors d’une soirée dansante au lycée, il tombe sous le charme de María, la sœur du leader des Sharks.

La critique d’Eugénie – 8,5/10
♥ Coup de cœur

C’est l’histoire d’une romance intemporelle, qui avant de s’incarner en Tony et Maria s’appelait Roméo et Juliette, et encore avant, Pyrame et Thisbé. C’est l’une des raisons qui permet aujourd’hui à Steven Spielberg de proposer sa propre adaptation de la comédie musicale, car West Side Story, tout comme les œuvres dont elle s’inspire, ne saurait avoir une vision unique tant les possibilités pour se l’approprier sont vastes. C’est le principal atout de cette version, la trame a beau être identique, le réalisateur ne s’en sert pas pour raconter la même chose que ses prédécesseurs, qu’ils soient de Broadway ou d’Hollywood.

D’ailleurs, autant le dire tout de suite, je n’ai jamais été une grande fan de la comédie musicale, principalement parce que les compositions de Leonard Bernstein me laisse, au mieux, indifférentes. Quant à son adaptation cinématographique de 1961 par Robert Wise, au-delà du temps qui a inévitablement daté certaines scènes (l’agression d’Anita sur fond de musique festive est particulièrement gênante), j’ai toujours trouvé son traitement du drame trop léger, qu’il s’agisse des conflits ou de la tragédie du couple, pour m’y sentir investie. Un couple qui lui non plus ne m’a jamais convaincue, notamment Nathalie Wood qui, malgré ses 23 ans à la sortie du film, campe une Maria trop mature physiquement à mon goût.

Si mon appréciation de la bande originale reste mitigée, Steven Spielberg réussit néanmoins à me faire croire à sa proposition. Se présentant presque comme un anti-La La Land, West Side Story 2.0 remet à l’honneur la dimension spectaculaire du genre avec un casting d’acteurs inconnus, mais accomplis (chanteurs et danseurs).
Ceux-ci, ni trop lisses, ni trop beaux, sont l’une des plus grandes forces de ce long-métrage, à commencer par Rachel Zegler dont l’interprétation de Maria m’en fait même apprécier la partition. Du côté des personnages secondaires, deux profils se détachent clairement : celui d’Ariana DeBose qui a la lourde tâche de succéder à Rita Moreno dans le rôle d’Anita et l’égale sans peine en nous faisant pleinement ressentir la sienne, et la grande révélation du film, j’ai nommé Mike Faist aka Riff. Une vraie gueule cassée semblant évadée du Pays Imaginaire, un garçon perdu qu’on aurait forcé à grandir, désabusé, en colère, presque nihiliste et qui crève l’écran à chacune de ses apparitions.

Car le West Side Story de Steven Spielberg, tout comme ses autres itérations, ne raconte pas qu’une histoire d’amour. Il fait le portrait d’une certaine Amérique regardant le passé sous l’éclairage du présent. Et ce que nous dit le réalisateur des USA post-Trump est édifiant. En détaillant la back story des Jets (et de Tony) il donne aussi du corps à la haine entre les deux camps. Une haine enfantée par la peur du changement et de la perte d’identité, qui demeure pourtant aussi futile qu’absurde. Ou comment deux bandes de grands ados jouent à la guerre comme des enfants, sans conscience de ses limites, jusqu’à ce que ceux qui ne sont encore que des sales gosses insolents et irrespectueux, mais profondément libres, finissent par devenir des délinquants, puis des criminels. Spielberg image parfaitement cette pente glissante et traite ses personnages avec autant de tendresse et d’indulgence pour la bêtise inconséquente de la jeunesse, que de sévérité pour la stupidité criminelle des hommes, sans se départir d’une profonde pitié devant ce qui ne tient pas de la fatalité, mais bel et bien du libre arbitre.

Ces thématiques, le réalisateur les sublime dans certains choix d’attribution des chansons à d’autres personnages ou à la chronologie de celles-ci. Le jeu de fascination autour d’un revolver entre Tony et Riff sur le titre Cool traduit ainsi bien le rapport malade des Etats-Unis avec les armes à feu, quand faire chanter Somewhere par Rita Moreno, de retour 60 ans plus tard dans un rôle original, celui de Valentina, la veuve (portoricaine) de Doc, lui donne bien entendu un autre sens, et même une autre dimension.

Ce West Side Story n’est définitivement pas un film de commande, loin de là ! C’est un projet où transpire la passion, celle d’un homme amoureux de la comédie musicale qui peut enfin soumettre sa version au monde et y prend beaucoup de plaisir. De fait, Steven Spielberg n’a plus rien à prouver, hormis peut-être encore à lui-même, et a amorcé du haut de ses 75 ans une série de films qui feront partis de son testament. L’ouverture et sa lumière blafarde fait ainsi penser à La Guerre des Mondes quand d’autres scènes pourraient presque s’intégrer dans la version de 1961. L’éclairage, tantôt naturel, tantôt volontairement anachronique, se joue des inspirations et des époques alors que la caméra expérimente, propose des plans et des angles de vues différents pour iconiser ses personnages ou s’infiltre entre les danseurs pour en saisir la dynamique et appréhender la ville différemment.

Les fans de l’adaptation de Robert Wise auront peut-être du mal à apprécier cette nouvelle proposition, mais elle demeure non seulement parfaitement cohérente dans la filmographie de Spielberg que tout aussi intéressante dans son propos et véritablement complémentaire de son ainée.


Réalisé par Steven Spielberg
Avec Ansel Elgort, Rachel Zegler, Mike Faist, Ariana DeBose, Rita Moreno, David Alvarez etc.
USA – Comédie musicale
Sortie en salle : 8 décembre 2021
Durée : 2h 37min