Seine à l’eau de rose
Kezako ?
Venant tout juste de terminer sa collaboration sur la Statue de la Liberté, Gustave Eiffel est au sommet de sa carrière. Le gouvernement français veut qu’il crée quelque chose de spectaculaire pour l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, mais Eiffel ne s’intéresse qu’au projet de métropolitain. Tout bascule lorsqu’il recroise son amour de jeunesse.
La critique d’Eugénie – 6,5/10
Repoussé à de multiples reprises, le « biopic » du brillant bâtisseur de la Tour éponyme sort enfin en salle et irrite autant qu’il séduit avec une intrigue morcelée.
D’un côté, la genèse de la Tour Eiffel fascine. Entre les défis technologiques relevés, les critiques des artistes de son époque, la vindicte populaire, tant inquiète pour sa sécurité que pour l’esthétisme du projet, les problèmes de financement et les plaintes des ouvriers, la construction de l’emblème le plus flamboyant de notre capitale a été un parcours du combattant qu’on prend plaisir à découvrir sur grand écran. L’image y déploie alors toute son ambition, de par l’envergure de ses décors et l’habilité de sa mise en scène se jouant de nos peurs primaires pour créer une tension : risque de noyade, d’enfouissement, accident de décompression et surtout, le vertige ! Des scènes d’autant plus réussies que la photographie est soignée, avec un beau travail de la lumière et de l’obscurité.
La copie est propre, le génie de l’homme et de l’œuvre est bien mis en avant et le film aurait largement pu s’y tenir, peut-être en l’étendant aux autres projets iconiques de Gustave Eiffel, comme la statue de la Liberté et le métro de Paris (seulement évoqués), mais se trouvent entravé par le cahier des charges d’une romance à 90% fictive quand la réalité se suffisait à elle-même.
Eiffel s’enlise donc dans une énième et banale histoire d’amour impossible qui n’apporte rien à l’intrigue hormis des problèmes de rythme. Sans parler d’un gros souci de cohérence : Gustave Eiffel et Adrienne Bourgès avaient 10 ans d’écart, Romain Duris (47 ans) et Emma Mackey (25 ans aujourd’hui, 22 lors du tournage) en ont 22 ! Alors oui, l’alchimie entre les deux acteurs est évidente et leur jeu tout à fait juste, mais leur histoire perd toute crédibilité quand les flashbacks cherchent à nous faire croire que 20 ans se sont écoulés… sans qu’Emma Mackey prenne une seule ride !
En s’articulant autour sur une love story racoleuse, occasionnellement gênante et peu originale, Eiffel rate l’occasion de s’inscrire comme le grand film populaire de l’année. Cela étant, nul n’est capable de dire quel sera son héritage. Car si on peut en extraire une morale, c’est bien sur la faible capacité des contemporains à anticiper la pérennité d’une œuvre. La Tour Eiffel était conspuée par les artistes de son temps, la pyramide du Louvre critiquée à sa naissance, le centre Pompidou honni des critiques etc. Au-delà de confirmer que les Parisiens (dont je suis) sont des emmerdeurs jamais contents (suffit de savoir à quel point j’ai craché sur l’empaquetage de l’Arc de Triomphe façon Christo), il peut être utile de se rappeler d’insuffler un peu d’humilité et de projection dans nos jugements esthétiques et culturels de temps en temps. Qui sait si nous n’avons pas finalement manqué une occasion de marquer l’Histoire en votant pour une reconstruction de Notre-Dame à l’identique…
Réalisé par Martin Bourboulon
Avec Romain Duris, Emma Mackey, Pierre Deladonchamps etc.
France – Drame, Biopic
Sortie en salle : 13 octobre 2021
Durée : 1h 49 min