Le Jeux de la Dame, coup gagnant pour Netflix

Échec et mat

Kezako ?

En pleine Guerre froide, le parcours de huit à vingt-deux ans d’une jeune orpheline prodige des échecs, Beth Harmon. Tout en luttant contre une addiction, elle va tout mettre en place pour devenir la plus grande joueuse d’échecs du monde.

La critique d’Eugénie – 9/10

The Queen’s Gambit montre encore une fois la maîtrise de Netflix sur ses productions originales avec l’adaptation du roman éponyme de Walter Trevis (1983). Il semblerait que les mini-séries soient de plus en plus gage de qualité sur les services de streaming. Peut-être est-ce plus simple d’engager un public sur quelques épisodes avec une histoire finie, sans risque d’étirer une intrigue jusqu’à l’épuisement pendant X saisons ; mais ici, le simple fait d’avoir su créer l’engouement autour des échecs, domaine qui, bien que comptant nombre d’adeptes à travers le monde, reste très fermé, tient plus du coup de poker !

Alors certes, les profanes (dont je fais partie) ne comprendront pas grand chose aux ouvertures, aux déplacements, aux combinaisons et stratégies qui en découlent, mais ça n’est pas nécessaire. D’ailleurs, malgré quelques exercices de vulgarisation, Le Jeu de la Dame n’a rien d’un tuto pour apprendre à jouer. C’est en abordant l’angle du génie et de la compétition, à la convergence de l’art et du sport que Netflix réussit son coup et embarque le spectateur. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, et là, l’ivresse c’est de voir Beth Harmon, jeune prodige dans un monde très masculin, terrasser un à un tous ses adversaires.

Un investissement qui ne tient qu’à une seule chose ou presque : le talent d’Anya Taylor-Joy, connue des fans de Peaky Blinders, absolument envoûtante dans le premier rôle. Avec son magnétique naturel et son regard sur-expressif semblant presque sortie du film Big Eyes, le personnage partage chacune de ses pensées avec les spectateurs, compensant sa retenue et son économie de parole. Ses yeux sont un livre ouvert nous permettant de ressentir une vive empathie pour toutes les émotions de Beth, alors même qu’elle ne cherche pas à nous être sympathique et ne s’excuse jamais de rien, encore moins de ce qu’elle est. Cette assurance se transmet par le travail tout en dentelle de la gestuelle d’Anya Taylor-Joy, dont les postures suivent l’évolution et l’âge du personnage alors qu’elle gagne en confiance et en sensualité.

Bien sûr, la prestance de Beth serait moindre sans l’appui des superbes costumes et perruques qui complètent son caractère, jouant avec les formes et les couleurs pour mieux évoquer son état d’esprit et retraçant les différentes modes des années 50 et 60. Cette palette de couleur choisie se retrouve aussi dans des décors d’époque – en pleine Guerre Froide – léchés et la colorimétrie de l’image, sublimée par une lumière travaillée et une composition de plan subtile qui n’a vraiment rien à envier au cinéma. La mise en scène reste ainsi juste, parfaitement cohérente avec son propos où la seule excentricité est la projection mentale de l’échiquier au plafond, qui vient même se refléter dans les yeux de celle qui l’imagine.

Il y a, en fin de compte, très peu de choses à redire sur la série, mise à part peut-être, pour pinailler, quelque temps mort avant l’épisode final, mais qui sont utiles au développement de Beth. Cette dernière est d’ailleurs entourée de seconds rôles qualitatifs (dont Dudley Dursley), qui alimentent des relations touchantes, que ce soit avec la mère adoptive, le concierge de l’orphelina, la sœur de cœur, où les hommes qui traversent la vie de l’héroïne.

The Queen Gambit est assurément une fiction brillante, qui parle du génie humain dans toute sa complexité, ses revers et ses éclats, tout en respectant l’intelligence de son public. De nouveau, Netflix peut se targuer d’être le Roi des plateformes de streaming, mais entre The Crown et Le Jeu de la Dame, il doit beaucoup à ses Reines.


Créé par Scott Frank et Allan Scott
Avec Anya Taylor-Joy, Marielle Heller, Thomas Brodie-Sangster, Harry Melling etc.
USA – Drame
Saison 1 (7 épisodes) diffusée depuis le 23 octobre 2020 sur Netflix
Durée par épisode : 46–68 minutes