Disney et les reboots : Stop au carnage !

Vers le profit et au-delà !

Il y a eu l’âge d’or du Western et des films noirs, celui du cinéma expressionniste et underground, la Nouvelle Vague et le Nouvel Hollywood… Mais quel sera le genre qui définira les jeunes années des 2000 ?
Car si un courant marketing se distingue clairement depuis une décennie, les mouvements esthétiques se font eux bien plus discrets. Et pour cause, les studios semblent se préoccuper davantage de l’élaboration de leur propre « univers » que de la recherche artistique. Le succès des licences telles que Star Wars, Harry Potter et autres Seigneurs des Anneaux a démocratisé la tendance et le début du millénaire a été marqué par la course aux sagas brandées teenage movie où tous voulaient décrocher le bon filon qui leur assurerait un triomphe régulier au box-office.

Pourtant, c’est probablement au Marvel Cinematic Univers que nous devons le décuplement phénoménal de ce genre de procédé. Le succès de chacun des films a prouvé que le public était prêt à consommer du cinéma autrement, sur une base plus sérielle, en ne suivant plus quelques personnages principaux sur une même trame mais une multitude sur plusieurs segments tous reliés les uns aux autres. C’est pourquoi les studios ne travaillent plus tant à l’obtention des droits d’une saga qu’à l’extension de celles qu’ils possèdent déjà (Mad Max, Les Animaux Fantastiques, Le Hobbit, Star Wars, Terminator etc.), déclinées en autant de spin-off sur le grand que le petit écran, quand ils ne construisent pas simplement une nouvelle franchise (Monster Universe).Franchise cinématographique.pngAutre procédé du même acabit, le reformage des licences déjà exploitées (ou récemment rachetées) très fréquent dans le cinéma d’horreur et fantastique dont par exemple Vendredi 13, Ça, Jumanji, Godzilla, Tom Raider et tant d’autres. Mais si l’intérêt aurait dû être d’enrichir la matière initiale par la création ou d’en présenter une relecture, on retrouve souvent des œuvres exsangues de toute leur magie.
Dans un monde idéal, la naissance d’un reboot, d’une suite, d’un prequel ou de tout univers parallèle ne devrait être dictée que par l’intérêt artistique et non pas marketing… Mais dans notre société de consommation tout sauf idéale, le profit règne et les studios exploitent et dépouillent leurs franchises jusqu’à la moelle, tels des vautours s’acharnant sur les cadavres de leurs gloires passées ! Une mode qui n’épargne (malheureusement) pas les studios Disney !

Disney et les reboots

Après deux décennies (90-2000) à produire des suites très inégales à ses classiques d’animation en direct to DVD (ou VHS pour les plus anciens), Mickey a trouvé un autre moyen pour engranger des sousous sans trop se fatiguer, capitalisant toujours sur l’affection du public pour ses films mais via les reboots en live-action. Une méthode paresseuse (plus du point de vue de la démarche artistique que de l’exécution) et opportuniste qui porte néanmoins ses fruits et abreuve les écrans de remakes qui sont au mieux dispensables, au pire détestables !
Faisons un bref retour sur ces remakes produits par la firme aux grandes oreilles. À noter que « reboot » concerne ici uniquement les live-action des films originaux, j’exclue donc de fait toutes les suites et prequels, notamment les Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton ou encore le dernier Winnie L’Ourson.

Le premier vrai reboot d’un classique de l’animation ne date pas d’hier puisqu’il s’agit des 101 Dalmatiens de 1996, qui n’apportait qu’une unique valeur ajoutée en la présence de Glenn Close, fantastique en Cruella d’Enfer. Oubliable et vite oublié, le film reste pourtant moins iconique que sa version animée.

f0453630b3aa7f287b3246b2b8a36.jpgPourquoi tant de haine ?

Ellipse temporelle. Tim Burton ayant proposé une suite aux aventures d’Alice, il faut attendre Maléfique en 2014 pour avoir un nouveau remake. Le long-métrage avait pourtant sur le papier de bons arguments : la revisite de l’histoire du point de vue de la méchante, avec une partie prequel pour contextualiser et Angelina Jolie dans le rôle-titre. Les bandes-annonces venant accentuer le caractère inquiétant de Maléfique, qui reste l’une des (si ce n’est LA) meilleures antagonistes de tout le panthéon de crevards made in Disney, laissaient elles aussi espérer une revisite plus adulte et sombre. Quant au résultat…
SACRILÈGE ! BANDE DE BARBARES DÉGÉNÉRÉS ! QU’AVEZ-VOUS FAIT À LA MEILLEURE MÉCHANTE DE DISNEY ?! Ce reboot est simplement scandaleux, écœurant de bons sentiments et de mièvreries avec une conclusion terriblement prévisible surtout après le final de la première saison de Once Upon a Time (2011) et la glorification de l’amour fraternel (enfin, sororal) dans La Reine des Neiges (2013). Laissez les méchants être des méchants, bordel ! Le tout sur fond de gros CGI bien moches avec des personnages creux : un roi idiot, des fées qu’on veut dégommer et une princesse bonne à sourire comme une demeurée sans aucune relecture ni subtilité. Au moins celle de l’animation était excusée par son peu de temps d’écran…
Et si Angelina Jolie assure une très belle prestation, l’écriture du personnage a été simplement massacré au profit du marketing ! L’insulte atteignant son paroxysme lors du combat final où ce n’est même plus Maléfique elle-même qui se transforme en dragon (l’un des plus flippants du cinéma) mais son acolyte à plume ! Ou comment détruire une icône ! Pas d’accord Disney, pas d’accord du tout !

414888.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgVa manger tes grands morts !

Vient ensuite le Cendrillon de Kenneth Branagh (2015) avec un style résolument kitsch, qui évitait néanmoins de re-pomper plan par plan le dessin animé. Mais malgré ses bonnes intentions, le long-métrage flirte avec une mièvrerie souvent à la limite du supportable là où l’animé conserve malgré le temps qui passe une forme de poésie plus humble. En dépit de son ambition, le rendu n’a rien de grandiose même s’il se laisse regarder en s’armant d’une bonne dose de second degré, sans plus de qualité qu’un bon téléfilm (ce n’est déjà pas si mal).

269318.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgOk, je sais qu’il faut souffrir pour être belle, mais là entre le poids de la robe,
les talons de 10cm en Plexiglas et ce putain de corset, j’vous jure j’vais mourrir !

L’année 2016 est peut-être la plus intéressante côté reboot avec ceux du Le livre de la Jungle et de Peter et Elliott le dragon.
Ainsi, les nouvelles aventures de Mowgli apportent pour la première fois des éléments nouveaux et enrichissants même si davantage sur la forme que sur le fond. Plus qu’un film en soi, « Le livre de la Jungle 2.0 » est presque un manifeste technologique et esthétique tant le travail sur les décors et les animaux est bluffant. On note également quelques ajouts intéressants du côté des enjeux et des personnages intelligemment retravaillés, notamment le tigre Sher Khan qui dégage à chaque apparition une impression de puissance et de menace. Le long métrage trouve alors un bon équilibre entre l’hommage et la refonte, si ce n’est que les chansons font presque taches dans ce nouvel univers.
Mais c’est avec Peter et Elliott le dragon qu’on tient enfin un exemple de remake utile, le film de 1977 étant l’un des grands mal-aimés de l’écurie de l’ami Walt. À titre personnel, la version « animée » ne m’a jamais inspiré aucune affection de part son ton très enfantin, ses personnages extrêmement caricaturaux et ses chansons stupides et inutilement longues. Et contre toute attente, le remake est un bon film, qui réussit là où l’original échoue lamentablement : transmettre une émotion ! Alors oui, on rejoue une version de l’Enfant Loup croisée avec l’histoire même de Mowgli, mais le long métrage nous investit dès les premières minutes par de réels enjeux et allient la douceur et la magie d’un classique Disney à celles des films de Spielberg. Les décors sont magnifiques, la musique est sympa et ce nouveau Elliott cent fois plus attachant que le lourdaud de l’animation. Un film tendre, véritablement meilleur que sa première version et qui fait à date autant figure de bon exemple que d’exception qui confirme la règle dans le catalogue de reboots de la firme aux grandes oreilles.

405508.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgManger ?

Mais revenons à des expériences moins plaisantes. Le rythme s’accentue dès 2017 avec la sortie de La Belle et la Bête qui souffre, selon moi, d’un très gros problème de casting pour les deux personnages principaux. N’étant pas de base une de ses grandes fans, le jeu d’Emma Watson n’a pas su me convaincre. Fade, impersonnelle et dénuée de subtilité, cette Belle manque de chien et sa Bête de charisme, autant dans son rôle de monstre que d’homme. Seul Gaston trouve sa route en caricature assumée et Le Fou fait l’objet d’une relecture intéressante, même si terriblement clichée et timide (on passera côté révolution des mœurs). Pour le reste, le film se voit affublé d’ajouts inutiles les rares fois où il s’échappe d’un copier-coller plan par plan limite obséquieux. En fin de compte, rien ne fonctionne dans cette version car il lui manque l’essentiel : le charme. Une carence d’autant plus flagrante lors de la chanson « C’est la fête » où les effets spéciaux n’arrivent pas à capter le dixième de la magie de la scène d’animation. Beurk !

Puis vient le trio de 2019 qui nous a fait frôler l’overdose avec Dumbo, très décevant, Aladdin, complètement inutile et le Roi Lion, beau mais sans âme et perdant l’atout de la surprise esthétique puisque sorti après Le livre de la Jungle.

On finit avec le live-action de La Belle et le Clochard réalisé pour la plateforme Disney +, permettant à Mickey de gommer les références un brin raciste de l’orignal et… bah c’est tout. Peut-être est-ce une question de budget, le film n’ayant pas vocation à finir en salle, mais le rendu est on ne peut plus cheap, voir carrément gênant quand il s’agit de faire parler ces braves toutous. À ce compte là, autant se remater L’incroyable Voyage, c’est de la voix off (casting 5 étoiles) et pourtant ça n’a pas pris une ride en presque trente ans.

2698614.jpg-r_1920_1080-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg– Ah ouais, dur le relooking !
– C’est le confinement pôv truffe ! Toilettage maison…

Ouf, on a enfin finit avec les remakes et si on en juge par leur accueil critique très tiède, on ne devrait pas en revoir avant un petit moment non ? Ah, douce naïveté. Bien sûr que non, parce que la stratégie commerciale elle, fonctionne à plein régime, illustrée par le succès retentissant du Roi Lion 2.0 et ses 1 656 311 308 $ de recettes dans le monde (merci Wikipédia). Selon le calendrier de Disney, c’est presque la totalité de son catalogue qui va passer à la moulinette du live-action dans les prochaines années.

En panne d’inspiration ?

Entre les films d’animation se concentrant de plus en plus sur des suites et la pléthore de reboots, n’y aurait-il pas une crise d’inspiration dans la firme aux grandes oreilles, et par extension, dans le cinéma ? L’industrie du 7ème art semble avoir de plus en plus de mal à se renouveler si on n’en juge par ses efforts précipités pour renouer avec de plus ou moins anciens succès. Cette frénésie aurait presque quelque chose de désespéré, comme si le grand écran craignait à moyen terme de ne plus être capable de concurrencer Netflix et Cie et ne trouvait de solution qu’en capitalisant sur le communautarisme cinéphile, et donc clairement, le fan service pour remplir ses salles.

Cela dit, cela fait un moment que l’humanité recycle les mêmes thèmes. La plupart des monuments de notre temps sont des rééditions d’histoires millénaires à la différence qu’elles ont fait le fruit d’une adaptation. Par exemple en changeant de forme et de support, passant du conte de tradition orale au livre, au spectacle vivant puis aux écrans, ou parce qu’elles ont fait l’objet d’une relecture en adéquation avec les moeurs d’une nouvelle époque.
Ainsi une chanson du 13ème issue des mythologies allemande et scandinave a pu inspirer à Wagner son célèbre opéra, L’Anneau du Nibelung, qui lui même a servi de source aux Seigneur des Anneaux de Tolkien que beaucoup ont découvert dans la version cinéma de Peter Jackson. Un sacré parcours pour un chant du Moyen-Âge !
Lavoisier le disait pour la science, mais c’est un fait qui dépasse cet unique domaine  : rien ne se perd, rien ne créer, tout se transforme ! À vrai dire, plus que des histoires se sont surtout des motifs récurrents qui se renouvellent à l’infini, donnant lieu à une multitude d’itérations et d’interprétations. Le héros, le roi caché, le sauveur, le sage, les amants maudits sont autant de figures aux multiples visages. Ainsi, Pyrame et Thisbé, Roméo et Juliette et Jack et Rose (Titanic) sont dans leurs essences tous les mêmes, variantes d’un seul modèle. Quant à la figure messianique, elle se décline dans une foule de héros contemporain : Superman, Néo (Matrix), Paul Atreides (Dune) sont tous des versions « modernes » de Jésus.

Alors partant de ce principe pourquoi ne pas effectivement continuer de rebooter les oeuvres de notre enfance ? Justement parce que pour qu’une histoire continue à vivre dans le temps, sa renaissance doit avoir un sens !

L’intérêt du reboot

La portée du message
Comme mentionné précédemment, on peut par exemple proposer une nouvelle adaptation qui coïnciderait avec les attentes et les évolutions de la société. Les princesses Disney marquent bien cette évolution depuis leur début. Sorties toutes du même moule, leur archétype est toujours celui de la femme/fille cherchant à se faire une place dans le monde et devant pour ce faire s’appuyer sur les forces de la nature et/ou de ses représentants, mais leurs évolutions propres retracent l’histoire contemporaine de l’idéal féminin et il serait impensable aujourd’hui d’avoir une héroïne passive comme l’était Blanche-Neige, Cendrillon et Aurore en leur temps. On peut également jouer la carte du premier degré et transposer purement une histoire dans une autre époque pour voir ce qu’elle y donnerait.

Changement de support et innovation technologique
Autre option, le changement de médium, faisant comme évoquer ci-dessus, passer une œuvre d’un livre à un opéra, une pièce de théâtre à un film, un jeux vidéo à une série etc. Mais au sein d’un même art, le progrès technologique sert aussi le remake quand il permet la recherche d’un nouvel esthétisme. Ainsi les révolutions du cinéma, passant du film muet à la parole ou du noir et blanc à la couleur ont justifié un nombre incalculable de réadaptations, mais est-ce que le perfectionnement des CGI ou la présence d’acteurs en chair et en os légitime de dupliquer presque identiquement une œuvre ? Le débat est ouvert. 

Le cycle du Phoenix, laisser l’œuvre mourir pour mieux renaitre
Il est en effet plus difficile de proposer une nouvelle version d’une histoire quand celle-ci possède déjà son chef d’œuvre au sein d’un même art. Prenons le cas de la Belle et la Bête qui possède non pas une, mais deux versions portées aux nues, le monumental film de Cocteau et la magique adaptation animée de Disney qui reprenait déjà certains éléments du premier. Que peut donc bien apporter la présence d’Emma Watson a un long-métrage qui était déjà parfait et intemporel, hormis l’adhésion des fans inconditionnels d’Hermione ? Et la vilaine version en CGI de la Bête veillera telle mieux que le maquillage de Jean Marrais de 1946 ?
Le fait est que des longs-métrages de Disney sont aujourd’hui presque plus cultes que les histoires dont ils sont l’adaptation (et de toutes les autres versions, films, téléfilms, séries et animations confondues). Alors pourquoi donc se focaliser sur les chefs-d’œuvre quand une pléthore de films mal-aimés attendent qu’on leur donne une deuxième chance, tout comme certains longs métrages plus anciens (antérieurs à l’âge d’or des années 90) qui ont de fait moins bien vieilli et mériteraient une relecture plus moderne ? Il faut laisser à certaines histoires le temps de vieillir et leur caractère sacré s’évanouir pour mieux les voir renaitre et se réinventer.

Si on se fie à ses règles, il est tout à fait possible de produire de bons remakes, comme ce fut le cas pour Peter et Elliott. D’ailleurs faisons ça ! Voici notre TOP 7 des films que Disney pourrait rebooter où des projets en cours qui semblent prometteurs !

par Eugénie