Joker

What doesn’t kill the Phoenix…

Kezako ?

Le film, qui relate une histoire originale inédite sur grand écran, se focalise sur la figure emblématique de l’ennemi juré de Batman. Il brosse le portrait d’Arthur Fleck, un homme sans concession méprisé par la société. 

La critique d’Eugénie – 9,5/10
♥ Coup de cœur

Il y a des films attendus. Des succès commerciaux assurés, parfois même des films déjà rentables avant leurs sorties en salles (préventes et merchandising). Mais rares sont les films encensés avant leur projection. Ce fut le cas du Joker de Todd Phillips qui a déchaîné les passions des cinéphiles et des fans des comics dès son annonce. Comme si après les désastreux Suicide Squad, Dawn of Justice et Justice League, la lumière perçait enfin dans l’univers dégoulinant de CGI de la Warner Bros. La raison ? La présence de Joaquin Phoenix dans le rôle-titre ! Assurément, ça ne pouvait faire qu’un bon film… et même peut être, un GRAND film !

Pari gagné sur tous les fronts ! Joker est le film tant attendu et plus encore, la pièce maîtresse qui consacre un univers encore trop souvent réduit à celui de l’enfance ! Car si les films, dit de « super-héros » pour le grand public, et de « comics » pour les puristes, connaissent un succès majeur au grand écran depuis deux décennies, sa nature est lui encore trop souvent caricaturé et snobé par une partie des élites culturelles. Sam Raimi a su démocratiser le genre avec la trilogie Spider-Man au début des années 2000, et si Nolan l’a fait passer dans la cour des grands avec celle de Batman, Todd Phillips vient de lui offrir sa lettre de noblesse. Joker est le parfait exemple de ce que le cinéma peut sublimer quand le matériel de base est riche et respecté ! À commencer par un esthétisme.

Un brin punk, dissonante, dérangeante, la laideur qui s’impose partout à Gotham est magnifiée à l’image. La ville ne s’exprime que par la violence, qu’elle impose sans cesse au personnage d’Arthur Fleck, clown psychologiquement fragile vivant dans la pauvreté avec sa mère (superbe Frances Conroy). Quand la caméra ne tremble pas, fébrile face à l’immobilisme, elle vient isoler son personnage poussant constamment la rupture. Ruptures entre Arthur et les autres, mais aussi ruptures entre le propos, le son et l’image qui soulignent l’absurdité lattante de chaque scène. Ainsi, les rares moments de grâce d’Arthur sont des scènes de danse surréalistes, quand après avoir commis ses crimes, il s’éveille, il se trouve, il vit et surtout il se sent vivre. Une bande originale démentielle leur apporte un contrepoint maladif et gênant quand d’autres séquences sont plombées par un thème délicieusement pesant.

C’est sur ces entrechats que se dessine le plus clairement le caractère nihiliste du Joker, une déshumanisation bien plus marquée que dans les démonstrations de violence. Un être déshumanisé qui prend corps (maigrissime) sous les traits et le rire de Joaquin Phoenix, au sommet de son art ! L’acteur offre une interprétation différente de celle (pareillement mémorable) d’Heath Ledger, ce qui lui permet d’éviter toute comparaison. De fait, ces Joker ne sont pas les mêmes, mais bien deux itérations différentes. Et si certains craignent de voir donner une « origin story » à un personnage qui, mis à part le comics The Killing Joke de 1988, n’a jamais été défini par son passé, qu’ils se rassurent : Le film n’impose rien, il ne fait que proposer, avec un profond respect pour le matériel de base. On en regretterait presque la présence un peu trop appuyée de Bruce Wayne d’ailleurs.  
La descente aux enfers d’Arthur Fleck se repose ainsi autant sur l’acquis que sur l’instant, un équilibre subtil qui ne laisse néanmoins aucune ambiguïté sur le personnage : il n’est PAS un anti-héros !

Certaines scènes inspirent certes de l’empathie pour le personnage, mais à aucun moment elles ne justifient ses actes, balayant d’un revers de la main toutes les pseudo-critiques sur la responsabilité du film. Joker est un long-métrage pour adultes et qui considère son public comme tel, donc apte à se forger sa propre opinion. Joker ne juge pas, il ne prend pas parti, il ne tombe pas dans le misérabilisme, l’apitoiement ou la provocation, pas plus qu’il ne se fait l’étendard d’un propos politique, à l’instar de son protagoniste. Non, il raconte simplement une histoire et sa réalité. Ainsi, même si le contexte délétère entérine la métamorphose d’Arthur en Joker, même si la critique sociale s’entend en arrière-plan (atteignant son apogée lors de la rencontre avec un Thomas Wayne déconnecté, incapable de reconnaître la souffrance), même si les traumatismes de l’enfance ont fertilisé le terreau, jamais le récit ne dédouane le Joker de ses actes. Car, tout comme les orphelins ne deviennent pas tous Batman, les exclus de la société ne deviennent pas tous le Joker. D’ailleurs, celui-ci ne revendique pas de combat « social », il ne fait que le subir, le constater et jouir de la violence qui en découle.

Psychologique, intelligent, fort, violent, le film sait aussi prendre son temps pour travailler en profondeur son récit. Joker est suffisamment conscient de lui-même pour prendre des risques tout en maintenant toujours une forme de distance avec son propos. Avis d’ailleurs aux spectateurs un peu trop « premier degré » qui commentaient le film à la sortie de la séance. Il s’agit d’une adaptation de l’histoire d’un super vilain de comics… pas besoin de critiquer le réalisme des scènes d’émeutes ou encore de les comparer aux gilets-jaunes (même si ça m’a bien fait marrer). Car le Joker est avant tout une incarnation du chaos. Quant au film, il ne fait que rappeler que chaque homme a en lui un potentiel de violence et en explore les possibilités les plus extrêmes, car le désespoir fait partie de notre patrimoine culturel comme la folie de notre héritage génétique. Du reste, Oscar Wilde le disait déjà en 1891 : « Chacun de nous porte en soi le ciel et l’enfer ».

La critique de Marcellin – 9,5/10
♥ Coup de cœur

Le Joker signe son grand retour. Après sa catastrophique participation au film Suicide Squad, porté à l’écran par Jared Leto, je ne pouvais qu’exalter à l’idée de mettre en scène le brillant Joaquin Phoenix dans un film exclusivement dédié à l’histoire de ce personnage si complexe.

Et quelle réjouissance ! Dès la première scène je me sens frissonner de bonheur lorsque nous assistons à cette mise en bouche, ce sourire, ce regard désespéré et glaçant du Joker face à son reflet.
En supprimant toute allusion à un potentiel univers fantastique possédé par les super héros, le réalisme brut de ce Gotham des années 70 nous étouffe. Une ambiance poisseuse se dessine, la tension permanente qui prend cette ville au tripes vont participer à l’émergence d’un symbole : on assiste à la naissance du Gotham que nous connaissons. Cette atmosphère nauséeuse est renforcée par un constat : Gotham City est construite dans l’idée qu’elle est à l’image de n’importe quelle grande métropole mondiale. Un sentiment familier commence alors à nous envahir, et c’est dans son pouvoir d’identification que ce film tire toute sa force.  Car Todd Philipps critique ouvertement notre société, la politique mondiale et en particulier celle de son pays. En plein ère Trump, Joker est une attaque violente contre l’abus des riches et l’abandon des classes inférieures.
Tout le long du film est distillé un signal d’alarme : cette « folie dehors », celle qui gangrène Gotham, Arthur en deviendra le symbole, celui de cette population laissée pour compte. Il fera de cette folie son destin, pour se transformer en fer de lance du chaos. Ce système qui l’a abandonné a ainsi crée son propre monstre. Joker devient alors ce qu’il a toujours été à mes yeux : l’antéchrist. Nous verrons dans le film que Batman n’existe pas encore mais leurs destins sont déjà liés : la naissance du justicier et de son adversaire ont une même racine.
Un imaginaire biblique se dessine durant le film, surprenant mais subtil à la fois. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » se répète dans notre tête. Par ailleurs, plus le film avance, plus nous commençons à nous interroger : est-ce une descente aux enfers ou une montée vers la lumière ? Je vous laisse vous en faire votre propre idée.
Ces nombreuses réflexions autour du récit sont d’une richesse incroyable pour le spectateur, car il ne peut que s’approprier, vivre, ressentir ce chef d’œuvre qui lui est proposé. Ceci est possible grâce à la maîtrise du réalisateur. Nous sommes obnubilés par l’ascension du Joker, qui a pris place suite à la douce et lente mort de Arthur ; car aucun second rôle ne vient interférer dans cette obsession.
Mais je dois surtout rendre à César ce qui est à César : merci Joaquin Phoenix. Merci d’avoir apporté tant de dimension à ce personnage incroyable en nous livrant un jeu d’une précision absolue, pour nous marquer à jamais d’un personnage profond. Phoenix a littéralement donné corps au Joker, au propos du film, à son univers, à sa première comme à sa dernière scène. La symbolique du corps est un aspect qui m’a réellement marqué. Ce corps décharné, aliéné, résolu d’Arthur se mue lorsqu’il devient Joker. Il se dresse face à son destin, aux autres et imprègne chaque lieu et chaque instant d’un charisme magnétique.
Un instant de l’œuvre illustre cela : celui d’une transe macabre, une frénésie tragique, une danse glaçante et poignante de beauté, qui nous délivre un moment d’une noirceur infinie. Le pouvoir du corps dans une scène muette.

Vous l’avez constaté, il est difficile pour moi de trouver des critiques négatives à émettre contre ce film qui m’a bouleversé. Cependant , je dois l’avouer, la première heure du film m’a fait quelque peu douter. Des histoires connexes viennent légèrement parasiter le propos, notamment celle qui la lie avec Wayne. Cette dernière traîne en longueur, j’ai eu la sensation amère d’un besoin de justifier à tout prix par cette relation le désespoir d’Arthur, de combler des blancs. Inutile pour un Joker qui n’a nullement besoin de justification ! Des histoires d’amour viennent également se greffer, que je n’estime pas essentielles pour en venir au propos qui se suffit à lui-même. Mais pire, un raccourci freudien plus que facile vient me sauter aux yeux en plein milieu du film !

Cependant, tout ce que j’avais tiré dans le doute de cette première heure s’efface au profit d’un conclusion finale bouleversante. Je passe les dernières minutes du film frémissante, le sourire accroché aux lèvres, comblée par un tel chef d’œuvre.
Joker a définitivement rempli son contrat : « let’s put a smile on that face »


Réalisé par Todd Phillips
Avec Joaquin Phoenix, Robert De Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy etc.
USA, Canada – Drame
Sortie en salle : 09 octobre 2019
Durée : 2h 12 min